Changer de métier ?

Parfois, je me demande… Mais les possibilités offertes par notre effondrement économique sont si rayonnantes !
Et puis, être artiste, avant d’être un métier, c’est quelque chose qui est en vous. Comme un monde qui habite en vous… Et il ne vous lâche pas comme ça. Moi, si j’essaye de m’en éloigner, il se rebiffe et s’attaque à ma santé mentale…

Beaucoup de gens disent « Tu vis de ta passion », avec les yeux plein de glamour et de paillettes… (Oui, parce que les artistes, ça doit vivre d’amour et d’eau fraîche pour pouvoir mourir dans la misère, mais c’est pas grave puisqu’ils ont la passion, le glamour et les paillettes.)
« Vivre de ta passion », ce cliché m’exaspère.
Il ne correspond en rien à ce que je vis. C’est probablement vrai pour d’autres. Mais ce n’est pas ma réalité.

Moi, ça me bouffe de l’intérieur, c’est une lutte permanente contre moi-même.
Je suis fondamentalement une introvertie, et c’est assez contre-productif pour un artiste. Pour moi, le monde est bien plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur. Mais c’est un monde complexe, fragmenté, insaisissable… C’est une obscurité immense traversée de lueurs mouvantes… Et je dois me bagarrer en permanence pour ne pas m’y perdre et pour ramener des choses vers la frontière. Pour les rendre intelligibles, et communiquer avec le monde extérieur. Pour essayer de construire un pont entre ici et là-bas.
Et surtout… surtout… pour me convaincre qu’il faut le faire.
Parce que moi, je préfèrerais vivre cachée dans cette ombre et cette solitude, même si ça dévore mon énergie. Et si l’ombre et la solitude payaient les factures, personne ne me connaîtrait.
J’ai essayé sans succès d’échapper à cette galaxie intérieure que je n’arrive pas à canaliser. A ce sentiment colossal de ne pas être la personne qu’il faut pour affronter ça, d’être incompétente, déficiente, et de ne savoir qu’en éjecter des miettes insignifiantes…
Et je me trouve pathétique d’écrire ça…
On dirait un combat contre « les forces noires de la Création »…Tintintin tiiiin tintintiiiin !
Ce que je fais est si dérisoire : de l’illustration, de la BD pour des pré-ados, des institutions, des petits miquets à la con…
Parce qu’on me le demande.
Parce qu’on me le demande, j’arrive à tendre un fil vers la lumière, à éjecter un brin de légèreté, un regard un peu différent, et même quand j’ai de la chance, un gramme de poésie… Enfin le truc qui va changer un petit quelque chose pour le lecteur du texte que j’illustre ou de l’histoire que je raconte, ce quelque chose qui va le faire rire, voire lui permettre imperceptiblement de mieux respirer…
Mais cette demande est comme un paravent, derrière lequel je continue à tergiverser et à me cacher dans l’ombre.

Et quand j’ai fini, je retourne m’asseoir dans mon obscurité pour contempler le tournoiement des étoiles, en me demandant si un jour je parviendrai à en faire quelque chose, ou si je resterai éternellement cette spectatrice inutile…

Ou alors, changer de métier.

Théa et la chose qui rampe

13 réflexions sur « Changer de métier ? »

  1. Bravo ma Princess, il fallait le dire et mettre les choses au point … Je te vois ramer depuis des années pour réaliser de beaux dessins et de jolies histoires et je sais a quel point tu t’accroche pour gagner ton pain quotidien … Tu es battante et volontaire mais c ‘est normal que tu doute parfois de ce choix si difficile… Je t’aime et t’admire depuis longtemps…

  2. Le pire, c’est que quand je me relis, j’ai l’impression ne pas avoir dit ce qu’il faut… De ne pas avoir insisté sur ce paradoxe permanent auquel nous nous heurtons tous : on nous admire d’être des artistes, et on nous en veut. Parce qu’on a « tellement de la chance », on devrait bosser gratuitement pour se faire pardonner. Et parce qu’un artiste a besoin d’être publié d’une manière ou d’une autre, des gens en profitent pour nous filer des aumônes, voire nous proposer de le faire gratuitement pour nous « faire de la pub »…

    Bon, je crois que ça va faire un 3eme billet…

  3. J’aime bien ces détournements sexuello-science-fictionnesques d’images adolescentes (un peu comme l’a beaucoup fait Dany avec sa Colombe).

    Ceci dit, pour en venir au sujet de ton article, je pense même que l’on peut généraliser à beaucoup d’autres gens, et pas forcément autour de métiers artistiques, et constater qu’il y a souvent une différence énorme entre les aspirations des êtres, ce qu’ils aimeraient faire, leur monde intérieur et la réalité de leur quotidien. Après, chacun gère (ou pas) cette tension comme il le peut ou le veut. Chez beaucoup, ça restera au niveau du rêve puis du regret. Certains tenteront d’en faire quelque chose avec une ambition limité, sur le temps que leur laisse une autre activité rémunératrice. Quelques uns auront suffisamment de volonté et de chance (rencontre des bonnes personnes au bon moment) et parviendront à concilier (plus ou moins partiellement) leurs aspirations intérieurs et leur vie réelle et monétisante.

    (Et tout cela me donne une idée d’illustration) (que je n’aurai surement pas le temps de faire…)

  4. Sexuello ? Comme tu y vas !… Dany l’a effectivement beaucoup fait avec sa Colombe (un peu trop je trouve !), mais moi, ce n’est pas mon intention. Je dessine des formes qui deviennent des animaux étranges, ils se sentent un peu trop seuls et ont besoin de compagnie. Et comme Julie et ses copines ont en projet de vivre quelques aventures différentes, je les présente les uns aux autres.

    Et oui, je n’imagine pas qu’avoir un monde intérieur soit le privilège des artistes. Peut-être le nôtre est-il plus impitoyablement exigeant.
    Mais qu’il est irritant, ce fantasme si commun qui veut faire croire que c’est un tapis de roses pour nous, qu’on est des privilégiés et que ça justifie de nous prendre pour des poires…

  5. On connait très peu de choses sur les autres. On fonctionne beaucoup à base d’idées toutes faites, souvent toutes fausses. Dans le « vivre de sa passion », il y a le présupposé du « vivre ». Et si on n’a comme exemple que ce qu’on voit à la télé (Zep, Uderzo ou je ne sais qui en matière de BD, dessins, ou la clique des chanteurs qui passent à la télé…), on pense que l’artiste vit bien. Et qu’en plus, il se fait plaisir à bien vivre…

  6. Salut Princesse, Je ne laisse pas souvent de commentaire mais je ne rate aucun post de ton blog. Je rejoins Frez c’est vrai pour beaucoup de gens de vivre cette injonction paradoxale. A la différence près que ceux qui n’ont pas un peu de talent artistique ne peuvent pas bien exprimer ce malaise, c’est pire je pense. Ça ne rassure pas forcément de savoir qu’on est comme tout le monde mais ça permet de relativiser. Quand à changer de métier pourquoi pas c’est enrichissant aussi. En revanche c’est nous qui allons être tous tristes.

  7. Princesse,

    J’écris et même si je ne suis pas (encore) publiee, je me retrouve dans tes mots.

    Oui, c’est terriblement exigeant, une souffrance permanente. Mes personnages, mes histoires, mes petites intrigues amoureuses ne me laissent jamais en paix. Je dois me faire violence pour ne pas y retourner sans arrêt alors même que, comme actuellement, mon équilibre mental est mis en péril par ma vie intérieure. Mon dernier roman, j’y ai mis beaucoup de moi-même, il est sorti rapidement et douloureusement et je sais qu’il pourrait être meilleur. Je m’astreints a m’en garder éloignée et j’écris autre chose en attendant. Et c’est douloureux d’attendre….meme s’il le faut.

  8. Eh bien bonjour,
    J’arrive un peu à la bourre, vu qu’on est un mois + tard que le dernier message sur ce post.
    Je viens de tomber par hasard sur ce blog.

    Je viens donc de faire une rencontre, ou du moins une découverte à sens unique, comme celles que la vie nous réserve et nous marque quand elles nous font du bien par leur réalité et leur vérité.
    (J’évoque, entre parenthèses ennuyeuse, la vie comme elle peut être individuelle dans le propre intérieur d’un corps et d’une existence, et aussi la vie comme elle peut être collective parmi la nature, les autres, moins quelques autres, nous sommes le troisième jour après le 7 janvier 2015 …)

    Juste pour dire que je me demande bien combien sommes-nous à éprouver, comme dit dans le post, cette sensation un peu triste, un peu effrayante, du pouvoir d’envisager de rester éternellement un spectateur inutile.
    Si cette sensation est vécue par le plus grand nombre, alors c’est qu’elle doit être normale dans le propre de l’humain (bof) ? Sinon, est-ce pour cela que mon indignation quotidienne et de tous temps semble ne pas avoir d’écho assez puissant pour dénoncer la folie du monde ? Auquel cas la folie du monde serait, elle, normale alors ?!
    Ce sentiment peut aussi être rassurant, voire condescendant aussi : constater que nous avons su garder notre propre esprit un minimum attentif au monde globale et aux mondes individuels. Si tant est qu’on le fasse exprès !

    Toujours est-il qu’en constatant l’édition de votre travail et les réactions qu’il suscite, devez-vous réellement, hormis toutefois et évidemment la considération pécuniaire vitale (gagner son pain), vous considérer comme une simple et éternelle spectatrice ?

    Par nombres de vos post, j’entends finalement ce que je prends pour une vérité universelle et fondamentale dont chacun de nous devrait être vigilent à ne pas tenir en ignorance généralisée : mettre de la poésie dans chacun de nos actes pour sortir de notre spiritualité individuelle et inciter une réalité collective plus colorée et finalement plus responsable.
    Ainsi vous parlez de votre art, de votre métier : illustratrice.
    Ainsi d’autres pourraient parler du leur : femme du monde, homme au foyer, manager, instituteur, agriculteur, autostoppeur, politicien, boucher, inspecteur du permis de conduire, gardien d’immeuble, curé, conseillère Pôle-Emploi, banquier, régisseur de spectacles, vendeur de crayons, chauffeur de taxis, déménageur, DRH, RRH, sous-RRH, sous-sous-RRH, psy-toutcequonveut, journaliste, policier, moraliste, … tout le monde, si l’on veut bien, et tant qu’on en a la force (ce qui en exclut malheureusement certain, toujours trop, ponctuellement ou durablement).
    Quant à savoir si cette vérité correspond à une réalité, jusque-là, pour le peu que j’en sais, pour le suffisant que j’en sais, vous prouvez que oui.
    Merci.

    Il semblerait que ce soit votre texte, par l’interprétation que j’en fais, qui m’amène à intervenir. C’est vrai, mais ça ne serait pas le cas si je n’admirais pas d’abord, je sais ne pas être le seul, votre talent au dessin de votre imaginaire (ceci sans avoir l’expertise ou la compétence mais juste ceci du domaine de l’émotion).
    Je reconnais misérablement que mon intervention est bien stérile quant à remplir votre gamelle, sans du tout présumer de la richesse, petite ou grande, de celle-ci évidemment.
    Mais pour reprendre ce que disent d’autres artistes, saltimbanques toujours, fortunés pas nécessairement, je souhaitais juste témoigner que, vous comme d’autres (nombreux si on veut bien les chercher et les reconnaître, mais sont-ils assez nombreux ? N’y a-t-il pas un minimum de potentiel en chacun de nous ?), vous êtres à l’origine d’une étincelle par laquelle d’autres humains peuvent alors choisir de s’y réchauffer et de transmettre (, ou pas).
    Merci.

    Je m’empresse donc de faire connaître l’existence de ce blog à ma fille (pas encore ado ?) … on verra bien ce qu’elle en fera, on va dire dans l’immédiat, ou alors beaucoup + tard. On verra bien si elle le partagera et dans quelles intentions. On verra bien si elle a besoin de moi ou des autres pour y décrypter ce qu’elle souhaitera (, ou pas). Toutes les options sont possibles.
    Ce que je vois et ce que je lis sur ce blog m’inspire assez, humblement, pour être identifié comme repère, normal et fou à la fois.
    Merci.

  9. Que voilà un commentaire tourbillonnant d’énergie ! Merci de vos appréciations et encouragements !
    Il est  toujours étonnant de découvrir qu’on a de l’impact sur les gens, quand on nage dans ce sentiment d’insuffisance.

    Maintenant il me faut rester à la hauteur de cette « découverte », et je dois vous avouer que d’habitude, je me contente de dessiner et je me tais… Mais on dirait que, depuis quelque temps, les occasions de l’ouvrir se bousculent. Et je me serais bien passée de celle du mercredi 7 janvier.

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